Homélie du Jeudi Saint
Changer de paroisse

Homélie du Jeudi Saint

DiocèseLes mots de l'évêque

Publié le 11 avril 2020

Cathédrale Saint-Étienne de Limoges – 9 avril 2020

– « Faites cela en mémoire de moi ». 

– « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ». 

Deux commandements de Jésus nous sont rappelés en cette Cène du Seigneur. Deux commandements que Jésus livre à ses Apôtres au moment où il livre sa vie pour eux et pour nous. Je vous propose de les entendre ce soir dans ce climat de tribulation et de confinement.

– « Faites cela en mémoire de moi ». Ce qu’il faut faire en mémoire de Jésus, comme le rapporte saint Paul, c’est le geste de la dernière Cène que nous commémorons :  Jésus prit du pain, puis ayant rendu grâces, le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites ceci en mémoire de moi ». L’Église a toujours été fidèle à ce commandement. Elle n’a jamais cessé de faire ceci en mémoire de Lui. 

Ce soir encore, je vais « faire cela en mémoire de Jésus ». Et tous les prêtres aussi, parfois seuls. Car en même temps que l’Eucharistie, Jésus institue le sacerdoce, il fait participer les Douze à sa mission. Pourtant, depuis plus de trois semaines maintenant, nous faisons cela en mémoire de Lui sans que soit honorée une partie de ce que Jésus a commandé : « prenez et mangez-en tous ». Ça a du sens tout de même, car « chaque fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit » entendrons-nous dans la prière sur les offrandes.

Si les prêtres continuent de célébrer la messe, les fidèles ne peuvent donc plus communier à cause des mesures sanitaires. J’ai reçu plusieurs lettres de protestation qui rappelaient que dans les périodes d’épidémie ou de persécution, les chrétiens, sans avoir peur, parfois au risque de leur vie, avaient toujours continué de se rassembler, parfois clandestinement, pour célébrer l’Eucharistie. 

Est-ce que nous avons perdu la foi ? Est-ce que nous sommes devenus des chrétiens peureux ? Est-ce que les évêques manquent de courage et d’audace en obéissant servilement aux autorités civiles ? Je ne le crois pas. 

Dans les temps de persécution, on interdit aux chrétiens de se rassembler, comme c’est encore le cas dans certaines parties du monde. Et alors les chrétiens ont raison de braver l’interdit. Mais pour ce qui nous concerne, l’interdiction ne vise pas à brimer les chrétiens, elle vise à sauver des vies. Comment pourrions-nous nous y opposer ? Nous rassembler, ou aller porter la communion de maison en maison comme l’ont demandé certains, ce serait aussi risquer de porter le virus contre lequel nous luttons. La grâce des sacrements ne supprime pas la nature, en l’occurrence la nature nocive de ce virus qui profite de nos rencontres… 

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, sur son lit de souffrance, quelque mois avant sa mort, pouvait difficilement communier parce qu’elle ne pouvait pas avaler. Elle dit à sa sœur : « sans doute, c’est une grande grâce de recevoir les sacrements, mais quand le bon Dieu ne le permet pas, c’est bien quand même, tout est grâce » (Carnet Jaune, 5 juin). Mes amis, vous manquez de l’Eucharistie et moi je manque de ne pas la célébrer avec vous. De ne pas vous distribuer le Pain de Vie. Continuez de le désirer. Et croyez que « Tout est grâce ». 

– Il y a une autre chose que Jésus a faite lors de son dernier repas, qui nous est racontée par ce récit de Saint Jean. Il a lavé les pieds de ses disciples. Puis il leur a commandé de faire de même. 

La belle liturgie du jeudi Saint prévoit ce geste qu’il ne m’est possible d’accomplir. Les choses s’inversent. Je peux célébrer l’Eucharistie, mais vous ne pouvez pas communier. Je ne peux pas célébrer le lavement des pieds, mais vous pouvez vous laver les pieds les uns aux autres. 

Parce que que vous pouvez entrer dans les sentiments du Christ. Ce geste de Jésus n’est pas d’abord une exigence morale, mais une attitude profonde. Ce que Jésus fait ce soir-là, c’est le résumé de sa vie. Sa manière d’être Maître et Seigneur, car il l’est vraiment, c’est de s’abaisser, de servir, de se donner. Notre manière d’être chrétiens, d’être hommes et femmes, à la suite de Jésus, c’est de nous abaisser pour servir les plus petits, de renoncer à nous-mêmes, de nous donner. Ce faisant, nous ne nous perdons pas, nous nous trouvons.

C’est peut-être une grâce de ce temps de crise. L’absence de tout ce qui remplit habituellement notre vie jusqu’au trop plein, presque malgré nous, nous laisse la place pour découvrir qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir, à servir qu’à être servis. Des trésors de délicatesse et de générosité sont déployés partout durant ces semaines de crise, comme un bon fruit de l’adversité.

Mes amis, cette épidémie nous fait mesurer les limites et les ravages de la civilisation du profit. C’est l’heure plus que jamais de travailler à la « civilisation de l’amour ». Celle qui ne passera pas, qui s’épanouira dans le Royaume dont Jésus est le Seigneur et le Maître. 

Accueillez-le en vos cœurs, mettez-vous à son école, lavez-vous les pieds les uns aux autres, en attendant de pouvoir communier bientôt à son corps livré.

Amen

† Pierre-Antoine Bozo

Évêque de Limoges